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Interview de Gabriel Kaspereit: "La partie est jouable"

Portrait de Gabriel Kaspéreit
Triste fin de règne
Vendredi 16 mars, 11 h- Gaulliste historique, Gabriel Kaspéreit, 82 ans, quittera dimanche le fauteuil de maire qu’il occupe depuis 1961. Un départ assombri par les complots dans son propre camp et une possible victoire de la gauche.
Gabriel Kaspéreit
(Caroline Nugues)
De la fenêtre de son bureau, Gabriel Kaspéreit regarde la pluie tomber. Vide, la cour pavée de la mairie –un bel hôtel particulier du 18e– incite à la mélancolie. Cela tombe bien : le maire sortant du 9e n’a pas le coeur à rire. Programmé dès la fin du second tour, son départ à la retraite, après une vie politique bien remplie, a pris des allures de fin de règne. Ses successeurs à droite ont enfin réussi à le pousser vers la sortie. Et la gauche, l’ennemi de toujours, est aux portes de la mairie. Alors l’amertume perce : “J’aurai préféré une fin moins triste”, glisse-t-il.
Après quarante années passées à la tête de l’arrondissement, Gabriel Kaspéreit s’attendait à un peu plus de respect. A 82 ans, “Gaby” se sentait même capable de briguer un sixième mandat municipal consécutif. Mais voilà, au lieu des hommages, il a eu droit aux trahisons et bientôt à l’éviction.
Tout a commencé en 1995. Jacques Chirac et Dominique de Villepin convoquent le maire du 9e à l’Elysée et le pressent de passer la main. Oubliés ses états de service gaullistes –la 2e D.B. pendant la guerre, le ministère du commerce sous Pompidou, la députation depuis 1961–, les vrai-faux héritiers du Général parlent renouvellement. “Papy Gaby” fait alors de la résistance. Il sauve son siège municipal. Pour mieux perdre, deux ans plus tard, celui de député face au nouveau candidat investi par le RPR, Pierre Lellouche, avec la complicité du premier adjoint du 9e, Vincent Reina. Pour prix de sa défection, “Brutus-Reina” se voit proposer la mairie en 2001... Suivent quatre années de cohabitation tendue. “J’ai eu des coups de déprime, avoue l’octogénaire. Mais j’ai réussi à tenir le coup.”
“Les apparatchiks s’empareront de tout”
Aujourd’hui, Gabriel Kaspéreit n’a rien oublié. Et juge durement ses dauphins à droite. Reina ? “C’est un tordu, c’est vrai. Il m’a fait des choses ignobles que je ne préfère pas évoquer,” s’indigne le maire du 9e. Avant d’égratigner Pierre Lellouche : “Il rêve d’un ministère. Il parle de missiles et de conflits dans le monde. Comment voulez-vous qu’il s’intéresse au 9e ?“
Gabriel Kaspéreit va pourtant soutenir le candidat séguiniste. Par devoir. Maire depuis 40 ans, il bat le rappel de ses électeurs, ces “vi-fi” (des vieux fidèles), qu’il oppose à tous ces “bobos” venus habiter l’arrondissement depuis quelques années. “J’appelle ça la gauche caviar. Ce sont des gens empoisonnants qui n’arrêtent pas de réclamer,” s’emporte-t-il.
Au soir du premier tour, Kaspéreit conseille à Lellouche de fusionner avec la liste du tiberiste Reina. Quitte à encourir les foudres de Philippe Séguin. A ses yeux, l’arithmétique politique l’impose : sans union à droite et même jusqu’à l’extrême-droite, la mairie basculera à gauche. Et ça, Gabriel Kaspéreit n’en veut à aucun prix : “Avec les élus de gauche vont venir les apparatchiks qui s’empareront de tout et feront n’importe quoi. D’ailleurs la France est déjà aux mains des socialistes-léninistes. Et la France va mal depuis Mitterrand. Et depuis Giscard déjà...”
Discours d’un autre âge, estampillé UDR et guerre froide. Où perce le regret d’une France gaullienne autoritaire et respectée. La nostalgie, camarade. Une secrétaire interrompt Monsieur le maire. Il faut penser à détruire les archives. Au cas où. Gabriel Kaspéreit regarde par la fenêtre. Dehors, la pluie ne s’est pas arrêtée.

Vincent Chansel